Kollektsia!
Art non-officiel au pays des Soviets
Du 14/09/16 au 02/04/17
À l’occasion d’une série de donations exceptionnelles, le Centre Pompidou lève le voile sur une période méconnue de l’art russe, entre le Dégel et la Perestroïka : les 65 artistes « non-officiels » de Kollektsia! prolongent l’héritage des avant-gardes et offrent un écho inattendu au courant moderniste, à l’art conceptuel et au Pop art.
Centre Pompidou (MNAM)
Place Georges-Pompidou, 75004 Paris
(niveau 4, accès par le niveau 5)
De 11h à 21h, tlj sauf le mardi
Tarif : 14 € (réduit : 11 €) valable pour toutes les collections
Page de l’exposition sur centrepompidou.fr
Don de Vladimir et Ekaterina Semenikhin
L’ARTISTE, LE MUSÉE ET L’OLIGARQUE
L’exposition Kollektsia! est le fruit d’une donation historique. Ces 250 œuvres, le Musée national d’art moderne n’aurait jamais pu se les offrir sans les donations conjuguées de quarante familles d’artistes, collectionneurs et fondations. Estimée à plus de 6 millions d’euros, la collection dépasse en effet très largement le budget annuel d’acquisition du musée.
À l’origine de ce projet, la fondation du magnat Vladimir Potanin s’est laissée convaincre par l’entreprenante Olga Sviblova, directrice du Multimedia Art Museum de Moscou, de donner une visibilité internationale à une scène artistique méconnue en dehors des frontières de la Russie. Président du groupe minier Nornickel et de la société d’investissement Interros, Vladimir Potanin encourage, à travers sa fondation, la philanthropie et le rayonnement culturel de la Russie contemporaine.
Oscar Rabin, Bouteille et lampe, 1964
Don de Iveta et Tamaz Manasherov
Avec son fonds exceptionnel d’avant-gardes russes et sa visibilité internationale, le Centre Pompidou s’est imposé comme un bénéficiaire idéal. Kollektsia! s’insère dans un riche programme d’exposition rendant hommage aux donateurs privés, alors que le musée célèbre ses quarante ans d’existence… et que la Révolution d’Octobre sera bientôt centenaire.
LES COURANTS DE LA DÉSOBÉISSANCE
L’exposition s’ouvre sur le mouvement hétéroclyte des artistes « non-conformistes » : cette génération de créateurs s’émancipe de la doctrine du réalisme socialiste à la faveur du « dégel » khrouchtchevien des années 1950 et de l’organisation d’expositions internationales en URSS (Picasso au musée Pouchkine en 1956, Pollock en 1959 à Sokolniki…)
Francisco Infante, Oscar Rabin ou Yuri Zlotnikov renouent avec les expérimentations des avant-gardes russes et développent des langages plastiques très originaux. Mais l’expérience est de courte durée : dès 1962, leurs expositions sont violemment interdites par le pouvoir, qui les contraint à se replier dans la clandestinité ou à s’exiler.
2. Leonid Sokov, Lunettes pour chaque soviétique, 1976 (don de la Tsukanov Foundation)
3. Erik Bulatov, Gloire au PCUS, 2003-2005 (don de Ekaterina et Vladimir Semenikhin)
Pendant la « stagnation » des années 1970, des mouvements émergent dans le secret des ateliers de la capitale. Les œuvres exposées ne prétendent pas à l’exhaustivité, mais elles présentent deux grands mouvements concomitants.
L’École conceptualiste moscovite tire les conséquences de sa clandestinité et pratique un art immatériel pour échapper à la répression. Ce mouvement transdisciplinaire affirme la prépondérance de la littérature dans la culture russe et s’adonne à la performance. Ses principaux protagonistes sont Ilya Kabakov, Eric Boulatov ou le groupe Actions collectives.
Le Sots Art est une vision « soviétisée » du Pop art anglo-saxon qui remplace les références à la consommation par l’idéologique soviétique. Fondé par le duo Komar et Melamid, il s’empare et tourne en dérision les codes de la propagande. Ses principaux représentants, tels Leonid Sokov ou Alexandre Kosolapov, poursuivront leur carrière en exil mais marqueront durablement les générations suivantes.
AES+F, Suspects : Les sept pécheresses et les sept vertueuses, 1997
Dans cette cruelle installation photographique, le collectif moscovite AES+F propose au visiteur de deviner, parmi 14 portraits de jeunes filles, lesquelles ont commis un meurtre et lesquelles sont d’innocentes étudiantes !
À partir des années 1980, la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev s’accompagne d’un foisonnement créatif. Une pléiade d’artistes s’agrège dans des squats, à Moscou ou à Saint-Petersbourg. La culture underground, progressivement légitimée, ose s’affirmer au grand jour. Le marché prend rapidement forme dans les années 1990 et l’art contemporain commence à s’institutionnaliser. Il ne restait plus ajourd’hui qu’à le faire connaître à l’étranger… La donation de Kollektsia! parachève la légitimation de l’art « anciennement-non-conforme » !
Pour aller plus loin :
Parcourez (l’affreux) site de la (magnifique) collection Tsukanov, accessible en ligne : tsukanovartcollection.com