Institut du Monde Arabe
4 regards sur la Palestine

Du 18/02 au 20/03/2016
Organiser une exposition sur la Palestine n’est jamais une mince affaire. L’Institut du Monde Arabe relève pourtant le défi, en évitant savamment les controverses. Les quatre artistes invités parviennent à soulever de lourdes questions politiques, grâce à un discours métaphorique et un humour mesuré.

Larissa Sansour, Nation Estate, 2014 / Courtesy de l'artiste & le 104
Informations pratiques

Institut du Monde Arabe
1 Rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris
Page officielle sur imarabe.org
Blog de l’exposition : lapalestinealima.jimdo.com

Du mardi au vendredi, de 10h à 18h
Du samedi au dimanche, de 10h à 19h
Tarif : 5 € (tarif réduit : 3€)

Larissa Sansour, Nation Estate, 2014
Courtesy de l’artiste & le 104

PRÉAMBULE : COMMENT « EXPOSER » LA PALESTINE ?

Les questions qui entourent le conflit israélo-palestinien sont toujours brûlantes et l’actualité des expos du début d’année l’a prouvé à deux reprises. In between Wars, que Médecins Sans Frontières a organisé à la Maison des Métallos de décembre à janvier, a soulevé une vive polémique. Reconstituant le quotidien des habitants de la bande de Gaza, cette installation documentaire a été qualifiée « d’incitation à la haine » et « d’apologie du  terrorisme » par le président du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF).

Puis quelques jours plus tard, ce fut une vente aux enchères caritative de couvertures du journal Libération revisitées par des artistes qui s’est retrouvée sous les projecteurs. L’ambassade d’Israël à Paris avait obtenu de la maison de ventes Artcurial qu’elle retire l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest représentant l’activiste laïque palestinien Marwan Barghouti. Libération et Reporters Sans Frontières avaient alors décidé d’abandonner le projet*.

Khaled Jarrar, Whole in the Wall, 2013 / Courtesy de l'artiste

Khaled Jarrar, Whole in the Wall, 2013 / Courtesy de l’artiste

Ces deux « affaires » mettent en lumière les limites au-delà desquelles les institutions israéliennes s’opposent viscéralement à la naissance d’un débat. Nul ne saurait interroger la légitimité du tracé des frontières israéliennes ou de la détention d’activistes palestiniens sans s’attirer les foudres de l’état hébreux.

Il fallait donc du tact et de l’audace pour entreprendre une exposition comme La Palestine à l’IMA sans sacrifier sa portée politique, ni édulcorer son discours. Le secret de cette réussite ? Les artistes y abordent les questions dans leur globalité, en se gardant – le plus possible – de nommer Israël. Le véritable sujet de l’exposition est le lien qui unit un individu à son espace de vie. Un peuple et un territoire.

LARISSA SANSOUR

Née à Bethléem en 1973, vit et travaille à Londres.

Larissa Sansour, extrait de Nation Estate, vidéo, 2012 / Courtesy de l’artiste

Larissa Sansour puise dans la fiction les matériaux d’un discours politique et contemporain.

Dans ce court-métrage de 9 minutes, l’artiste s’adonne à la science-fiction : elle imagine la Palestine de demain comme un État vertical, un bâtiment comptant une ville par étage, avec des reconstitutions de monuments emblématiques dans tous les halls et un ascenseur comme nouveau vecteur de mobilité.

Mais le mensonge de cette vision ultra-moderne se révèle dans les derniers plans. On y découvre – par un grand travelling arrière – que le gratte-ciel est en réalité ceint par un mur infranchissable. Nation Estate est un conservatoire artificiel, un nouveau monde ostracisé.

KHALED JARRAR

Né en 1976 à Jenine, vit et travaille dans les territoires palestiniens.

Khaled Jarrar, BadMinton / Courtesy de l'artiste & Galerie Polaris

Khaled Jarrar, BadMinton, 2013 / Courtesy de l’artiste & Galerie Polaris

Artiste et militaire, Khaled Jarrar questionne les rapports individuels à l’autorité.

Garde-du-corps personnel du président de l’Autorité palestinienne, l’artiste reste convaincu que « l’art est plus puissant que l’armée ». Son installation à l’IMA révèle la violence quotidienne des entraves à la liberté de circulation.

Dès l’entrée de l’exposition, le visiteur est confronté à un mur en béton. À travers une brèche en forme de Palestine, il aperçoit les œuvres suivantes : six créations vidéos, documentaires ou mises en scène, dont le personnage central est le mur. Des checkpoints, des passages clandestins, une conversation entre une mère et sa fille à travers un trou, l’artiste martelant le mur, une partie de badminton par delà une frontière, etc.

SHADI AL ZAQZOUQ

Né à Benghazi en 1981, vit et travaille à Paris.

Shadi Al Zaqzouq, Underground Evolution, 2016 / Courtesy de l'artiste & Marion Ruszniewski

Shadi Al Zaqzouq, Underground Evolution, 2016 (détail) / Courtesy de l’artiste, photo M. Ruszniewski

Shadi Al Zaqzouq est un peintre marqué par l’exil, au discours punk libertaire.

Son art métissé fut dès l’origine un moyen de concilier ses identités multiples. Isolé de sa terre natale depuis 10 ans, dans l’impossibilité de se rendre à Jaffa pour revoir sa famille, l’artiste se retrouve à envier les taupes ! Avec humour, il s’imagine ce que deviendrait la liberté de circulation si les palestiniens pouvaient se déplacer comme ces petits fouisseurs.

Sur la toile exposée, les palestiniens-taupes convergent naturellement vers le Dôme du Rocher, lieu le plus sacré de Jérusalem pour les Musulmans. Cet accrochage est complété par une paire de jambes de mannequin, plantées dans un monticule de terre.

BASHIR MAKHOUL

Né en 1963 en Galilée, vit et travaille en Angleterre.

Bashir Makhoul, Otherwise Occupied, 2013 / Courtesy de l'artiste

Bashir Makhoul, Otherwise Occupied, 2013 / Courtesy de l’artiste

Autre exilé, Bashir Makhoul mène un travail conceptuel sur les déterminations identitaires.

Présentée à la Biennale de Venise 2013, l’installation Otherwise Occupied est une expérience interactive autour du thème du territoire : l’installation donne naissance à un microcosme qui évoque la naissance des bidonvilles ou de l’urbanisme de marge.

Les spectateurs sont invités à occuper l’espace d’exposition par le biais de boîtes en carton laissées à leur disposition, qu’ils peuvent découper et sur lesquelles ils peuvent écrire. Il en résulte une architecture composée de liberté et d’individualités.

Cette exposition est une initiative qui mérite d’être encouragée. Ces artistes sont des ambassadeurs précieux pour la cause palestinienne et leurs œuvres soulèvent des questions identitaires et territoriales avec une acuité incomparable.

* La vente se fera finalement sous le marteau de la maison Millon, le 22/03/16 à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine