La scénographie « pour les nuls »
ou l’art d’accrocher des œuvres sur un mur

Suspendre des tableaux ou des photographies sur un mur peut paraître un jeu d’enfant. Mais réussir son accrochage de manière élégante et s’assurer qu’il ne s’effondre pas après quelques jours n’est pas si simple.

Cet article s’adresse aux professionnels – artistes ou galeristes – comme aux particuliers : c’est un petit guide pratique de scénographie coécrit par un galeriste et une attachée de conservation, dans lequel nous avons cherché à contrecarrer quelques idées reçues.

par Frank Puaux et Julie Ruffet-Troussard

Gravure de Pietro Antonio Martini, Le Salon de 1787 au Louvre
PLAN DE L’ARTICLE :

  • les différentes techniques et matériels d’accrochage
  • les différents schémas de composition murale
  • l’art de choisir la bonne hauteur pour une œuvre
  • la lumière, les cartels, les conditions d’exposition

Pietro Antonio Martini, Exposition au Salon de 1787, eau-forte, Bibliothèque Nationale, Paris
Cette gravure donne une bonne idée de l’évolution du goût en matière d’accrochage de tableaux

MATÉRIEL D’ACCROCHAGE

Le choix d’une technique d’accrochage dépend avant tout de la nature du mur, mais également du poids et de la taille de l’œuvre. Les fabricants indiquent généralement le poids que peut supporter leur produit, mais nous vous recommandons d’être pessimistes en la matière car il n’y a pas d’engagement contractuel derrière ces arguments de vente… et que l’on n’investit pas dans une œuvre d’art pour la voir ensuite s’écraser au sol.

Derrière le cadre :

  • Les cadres en aluminium qu’on trouve dans le commerce sont déjà équipés de pattes en métal rivetées sur le dos ou fixées sur le châssis. Vous pouvez leur faire confiance, elles sont étudiées pour tenir le coup ;
  • Si votre cadre en bois n’est pas équipé, il vous faut visser la fixation directement dans les montants du cadre :
    • l’anneau de suspension (fig.1) convient pour les œuvres les plus légères mais il vous faut bien prendre soin de l’attacher au centre (horizontalement) et pas trop près du bord supérieur (sinon il apparaîtra au dessus de l’œuvre). Le peigne (fig.2) accroche moins bien l’œuvre mais permet plus facilement de l’ajuster ensuite ;
    • si l’œuvre est lourde ou de grand format, il est recommandé de visser deux anneaux à double ou triple vis (fig.3) sur chaque montant du cadre en prenant soin de les placer à la même hauteur ;
  • Pour les œuvres très lourdes ou de très grand format, on privilégiera un système de traverse biseautée ou de rail en aluminium (fig.4) à visser en plusieurs points sur toute la largeur du cadre : ce dispositif a l’avantage du peigne (on peut centrer l’œuvre librement ensuite) et il permet de faire reposer l’œuvre sur plusieurs points du mur. Il n’est pas toujours proposé par les encadreurs. C’est un tort !

NB : beaucoup d’œuvres anciennes sont équipées d’un fil de fer tendu entre deux pitons (fig.5) : si le câble n’est pas parfaitement tendu, c’est un système qui a le défaut de faire « piquer du nez » l’œuvre une fois suspendue et nous le déconseillons donc.

Accroche derrière le tableau : la tringle

Fig. 1

Accroche derrière le tableau : le peigne

Fig. 2

Accroche derrière le tableau : l'anneau double

Fig. 3

Accroche derrière le tableau : le rail

Fig. 4

Accroche derrière le tableau : le fil de fer

Fig. 5

Dans le mur :

Le clou

Il présente l’avantage de la simplicité, mais il doit être réservé aux œuvres très légères.

On adaptera le calibre et la longueur du clou en fonction du poids du cadre, c’est une solution que nous déconseillons toutefois dès que l’œuvre est volumineuse ou sous verre.

Accroche sur le mur : les clous
La vis

La vis, simple, coudée ou en crochet, est le grand classique pour accrocher une œuvre.

Le recours à une cheville ne sera pas nécessaire si le support est une cloison en bois (ce qui est le plus souvent le cas sur les stands de foire, auquel cas il est recommandé de viser les montants pour assurer une plus grande solidité), mais la cheville est indispensable dans des murs maçonnés, en plâtre ou en brique.

Accroche sur le mur : les chevilles standard
Pour percer votre mur, vous pouvez utiliser a priori une simple perceuse avec une mèche adaptée. Mais s’il est en béton ou en pierre, il vous faudra un appareil à percussion.
Les dispositifs anti-vol

Pour les œuvres de grande valeur ou qui sont exposées dans des lieux publics, il existe des dispositifs anti-vol tels que le piton Temart© ou des pattes vissées autour du cadre (qu’il est alors recommandé de peindre de la même couleur que le mur, en prenant soin de protéger l’œuvre au préalable).

La cheville à expansion

Les cloisons en Placoplatre® sont très répandues dans les appartements contemporains (si vous frappez et que ça sonne creux, vous y avez vraisemblablement affaire). L’utilisation de vis dans ce type de support nécessite des chevilles spécifiques (« molly ») et une pince pour les fixer.

Attention aux montants en aluminium – tous les 120 cm en général – et aux câbles électriques cachés derrière : pensez à disjoncter avant de percer.

Accroche sur le mur : les chevilles à placo
Les adhésifs

On lit beaucoup de bêtises sur le sujet… La patafix tâche les murs et n’est pas fiable au-delà de la carte postale donc proscrivez-la.

Le seul produit que nous ayons validé est le « crochet tableau » de la gamme Command de 3M. Il n’est pas fiable à 100%, mais s’avère pratique si vous n’avez pas le choix. En effet, il s’enlève sans trace… sauf si la sous-couche du mur n’est pas solide, auquel cas la peinture partira avec !

Accroche derrière le tableau : les adhésifs
Les cimaises

Elles nécessitent de visser un rail en haut du mur (avec des chevilles s’il vous plaît !)
Les avantages : elles sont modulaires et n’affectent pas le mur.
Les inconvénients : elles sont très visibles et l’œuvre n’est pas plaquée contre le mur.

Elles sont donc surtout indiquées si vous changez régulièrement d’accrochage et que vous ne voulez pas repeindre vos murs sans arrêt.

Accroche sur le mur : les cimaises
Il existe deux grandes familles :

  • les tringles en métal : particulièrement laides, puisque la tige dépasse sous les œuvres. Sachez également que les crochets tiennent sous l’effet du poids de l’œuvre, ils risquent donc de glisser si les œuvres sont trop légères ;
  • les câbles métalliques ou en nylon : plus discrets puisqu’on peut dissimuler ou couper le surplus en dessous de l’œuvre. Ces dispositifs proposent des crochets plus ou moins fiables, vous pouvez vous fier au prix pour trouver les meilleurs.
Les solutions créatives

Elles sont par nature illimitées et susceptibles de surprendre le spectateur.

  • vous pouvez déposer les œuvres sur des corniches, des étagères d’applique, dans des niches ou sur des marches, mais n’oubliez qu’elles peuvent se casser la figure si elles ne sont pas fixées ;
  • les câbles standers fixés avec des manilles offrent une infinité de possibilités (comme sur cette illustration) ;
  • au risque de vous décevoir, non, exposer une œuvre sur un chevalet n’est pas si créatif !
Accroche au mur : les solutions créatives

COMPOSITION D’UN MUR

L’agencement des œuvres subit l’évolution du goût et de la mode : quoi de commun, en effet, entre les accrochages du XIXe siècle, dits « bords à bords », et les fameux « white cubes », écrins de l’art actuel ? La composition d’un mur relève de considérations subjectives et chaque commissaire d’exposition aura une proposition différente. Il existe cependant quelques règles qu’il est préférable de respecter… ou d’ignorer dans certains cas !
L’art de la surprise

La règle générale consiste à éviter la répétition et toujours ménager des surprises à vos visiteurs. Si vous entrez dans une salle où toutes les œuvres sont de même format, encadrées de la même manière et placées à la même hauteur avec un écart constant, vous ne vous attendrez pas à une découverte dans la salle suivante et vous parcourrez les œuvres de plus en plus vite.

Donc, à moins que vous ne soyez adepte de la photographie sérielle et conceptuelle, il convient de former des ensembles et de varier les compositions comme les types d’encadrements.

Le danger du télescopage

Le principal défi d’un scénographe consiste à donner une place adaptée à chaque œuvre. Si vous voulez mettre un chef d’œuvre en valeur, qu’il soit grand ou petit, il vous faut l’isoler. Laissez généralement des espaces de « respiration » entre chaque cadre (5 à 10 cm minimum). Une œuvre ne doit, idéalement, pas occuper plus des deux tiers de la largeur d’un mur.

Mais aérer la composition ne suffit pas, il faut également éviter les mauvais assortiments. Une œuvre peut en « dévorer » une autre ! Souvent, le grand écrase le petit, la couleur attire plus l’attention que le noir et blanc, la figuration peut nuire à la poésie de l’abstraction… Ces exemples n’ont rien d’absolu, mais interrogez-vous à chaque fois si une des œuvres n’est pas effacée par ses voisines, car chacune peut trouver sa place.

Scenographie : compositions de mur / alignement par le centre

L’alignement par le centre

Scenographie : compositions de mur / alignement par le haut

L’alignement par le haut

Scenographie : compositions de mur / le mur de cadres

Le « mur de cadres »

La science de l’alignement (et du non-alignement)

Il s’agit encore d’une science inexacte et, comme indiqué précédemment, il est préférable de ne pas systématiser la présentation. Vous pouvez superposer les œuvres, les unes au dessus des autres (en veillant à ne pas les mettre trop haut ou trop bas) et il existe trois manières de les organiser horizontalement :

  • L’alignement par le centre : la norme, l’élégance. Si vous avez un doute, optez pour cette solution, vous ne prenez pas de risque ;
  • L’alignement par le haut (voire le bas) : ces présentations sont plus osées et donc plus rares. Il n’existe pas de cas de figure où elles s’imposent à coup sûr, mais elles peuvent s’avérer utiles pour décliner les présentations ;
  • Les « murs de cadres » : il n’y a rien de plus dur que d’abolir la règle ! Composer un mur de cadres revient à définir un rythme, en s’interdisant toute constance, tout alignement ou échelonnement. C’est une soupape salutaire dans une exposition orthonormée, mais c’est également épuisant s’il y en a trop. Il convient particulièrement de ménager des marges autour des œuvres, sous peine de produire un effet d’étouffement.

Vous aurez besoin de quelques outils : un mètre, un crayon, une gomme et un niveau à bulle ou un niveau laser avec trépied (ce n’est pas hors de prix et ça change la vie quand on suspend beaucoup d’œuvres). Nous vous déconseillons les niveaux proposés dans les smartphones, il ne sont pas très précis.

Il est recommandé de prendre le temps de la réflexion. Vous pouvez organiser une répétition générale au sol, ou même coller des morceaux de papier craft sur le mur pour tester la composition avant d’attaquer votre mur à la perceuse.

HAUTEUR D’ACCROCHAGE

La hauteur de l’axe est généralement fixée à 1,60 m / 1,70 m (soit la hauteur moyenne du regard) mais sa définition doit rester souple et s’adapter au format de l’œuvre, à la hauteur sous plafond et à la possible présence de mobilier sous l’emplacement retenu. La présence d’un siège ou d’un canapé appelle une belle marge de sécurité. N’oubliez pas que certains visiteurs peuvent se balancer sur leur chaise ou avoir des gestes malencontreux ! Redoublez également de prudence dans les lieux de passage, escaliers, couloirs étroits, etc.
Calcul pour déterminer où percer :

X = hauteur finale du système de suspension par rapport au sol
Y = hauteur du cadre
Z = différence entre le crochet de suspension et le haut du cadre

X = 160 + Y/2 – Z

Calcul de la hauteur d'accrochage

LES CONDITIONS D’EXPOSITION, LA LUMIÈRE, LES CARTELS…

Les conditions d’exposition

Si des œuvres d’art nous sont parvenues des siècles passés, c’est grâce à des scrupules ou des hasards de conservation qui les ont sauvé de la déliquescence. Ce genre de considérations est malheureusement assez rare quand il s’agit d’art contemporain, mais n’êtes-vous pas désireux de transmettre aux générations futures les œuvres auxquelles vous tenez ?

Déjà, si vous voulez faire simple : évitez de les exposer directement au soleil, ne les accrochez pas sur des murs humides ou dans des pièces mal isolées et évitez de les suspendre au dessus d’un radiateur. Les pigments n’aiment pas les UV ni les chocs climatiques et les photographies et les dessins y sont particulièrement vulnérables.

Si vous voulez être irréprochable : consultez les données de référence que publie le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF). Il met notamment en ligne un vade mecum de la conservation préventive ainsi qu’un tableau détaillé de la tolérance climatique et lumineuse des œuvres par type de matériau.

L’éclairage

La mise en lumière des œuvres d’art est un sujet en soi (nous en ferons un article exhaustif un jour promis) mais nous pouvons néanmoins aborder quelques notions ici. L’éclairage n’est pas moins important que le cadre, il habille l’œuvre et la fait vivre.

Si vous êtes un particulier, pensez à orienter une suspension, un plafonnier ou un lampadaire vers votre œuvre. L’avantage de ces sources plongeantes est qu’elles évitent les reflets, si l’œuvre est protégée sous verre. Privilégiez les lampes qui ne dégagent pas de chaleur ni d’UV, c’est à dire des sources LED.

Si vous êtes un professionnel, la solution la plus répandue est le système de spots montés sur rail qui offre une modularité précieuse si vous changez régulièrement votre accrochage. Les spots avec cadreurs (ou « découpe ») permettent de magnifier chaque œuvre en épousant les bords de son cadre : ce sont des dispositifs assez onéreux mais qui font vraiment la différence. On peut citer quelques marques comme les Procédés Hallier, Thomann, iGuzzini…

Le cartel

C’est la petite touche finale qui ne concerne que les professionnels ou les collectionneurs maniaques : le cartel est ce petit affichage qui indique les caractéristiques principales de l’œuvre : le nom de l’artiste si c’est une exposition collective, le titre, l’année de création, la technique, éventuellement la provenance, etc.

Dans le monde des galeries, le débat fait rage : il y a celles qui affichent leurs prix et celles qui ne le font pas. Dans les foires, il est recommandé d’indiquer le nom de la galerie sur chacun des cartels parce que les visiteurs les prennent souvent en photo sans penser à relever sur quel stand ils ont vu l’œuvre.

Dans les expositions, les cartels ont un rôle pédagogique décisif. Avec les éventuels « textes de salles », ce sont eux qui appuient le propos curatorial. Mais vous devez veiller en toutes circonstances à respecter la règle du « ni trop, ni trop peu » :

  • bien lisible, mais pas trop grand ;
  • pas trop près pour ne pas gêner la contemplation, mais pas trop loin pour que l’on ait pas à les chercher (essayez de les placer toujours à la même distance des œuvres) ;
  • ni trop longs, ni lacunaires : les œuvres phares ont le droit à des cartels dits « développés » où l’on trouve un résumé de l’intérêt particulier de la pièce. Il faut savoir être accrocheur et toujours faire court (500 signes maximum), les visiteurs sont là pour regarder les œuvres avant tout.

CONCLUSION

Vous l’aurez compris, en matière de scénographie, tout est affaire de goût et d’arbitrage. Mais il faut toujours faire attention à chaque œuvre parce que nous n’en sommes que d’humbles dépositaires.

Nombre de ces remarques ne reflètent que le point de vue de leurs auteurs, alors n’hésitez pas à nous partager le vôtre ! Cet article n’a donné lieu à aucun placement de produit rémunéré, alors merci d’en faire autant dans vos commentaires, mais nous serons ravis de lire vos expériences.

Si vous souhaitez en savoir plus sur l’encadrement des œuvres, ne manquez pas notre article sur le sujet.

Frank Puaux et Julie Ruffet-Troussard

COMMUNAUTÉ

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