Nicolas Hugo :
confessions d’un jeune galeriste

Nicolas Hugo a créé sa galerie à vingt-trois ans dans son appartement, et court maintenant le monde pour monter des expositions de ses artistes. Nicolas Hugo livre ses impressions décomplexées au Collectionneur Moderne sur l’art, l’argent, internet, etc.

Portrait Nicolas Hugo
Nicolas Hugo nous accueille en toute simplicité dans sa galerie, au lendemain du vernissage de « Main dans la main » de Théo Haggai, un artiste qu’il suit depuis ses tous débuts.

Informations pratiques :
-> Expo jusqu’au 01/10/15 au 5 rue de Médicis dans le 6ème
-> Site web de la galerie : www.galerienicolashugo.com
-> En dehors des expos, la galerie est ouverte sur RDV

Le Collectionneur Moderne (LCM) : D’où t’est venue l’envie d’ouvrir une galerie ?

Nicolas Hugo (N. H.) : Jusqu’à mes vingt ans, je voulais être éditeur de livres d’art, notamment pour enfant. Mais j’ai rencontré une marchande d’art dans un dîner à New York qui m’a dit « Toi, Nicolas je te verrai plutôt marchand d’art », et puis je pense qu’il y a plus d’avenir dans ce métier que dans l’édition, malheureusement. Je me suis renseigné et j’ai commencé à faire des stages en parallèle de mes études.

LCM : Tu t’es formé dans diverses galeries : que t’ont-t-elles apporté ? Quelles sont d’après toi les qualités nécessaires pour faire ce travail ?

N. H. : J’ai fait un premier stage chez Gagosian, j’étais jeune, 20/21 ans ; j’ai surtout ensuite travaillé en Belgique chez Sebastien Jannsen pour Sorry we are closed, c’est quelqu’un de très intéressant. C’est une petite galerie d’un point de vue structurel, mais ils ont un réseau incroyable de collectionneurs. On était trois : lui, son assistante et moi. J’ai vraiment mis les mains dans le cambouis et j’ai pris goût à vendre et défendre des œuvres. Je le considère vraiment comme un mentor et je le vois souvent. J’ai emprunté beaucoup à sa manière de fonctionner avec les clients… cette façon de vendre sans trop montrer que tu veux vendre. Le flegme quoi !

Après, j’ai travaillé deux ans avec Patrick Seguin : c’est une toute autre méthode, une plus grosse structure, 20 salariés, mais j’étais son assistant personnel. Le travail était très intense, il est très exigeant, mais il sait reconnaître le travail bien fait. Il m’a appris à ficeler parfaitement les dossiers, parce que le moindre détail est important.

LCM : Tu as ouvert ta galerie à 23 ans dans ton propre appartement, dans une atmosphère de showroom assez intime : trois ans après, que retiens-tu de cette expérience ?

N. H. : Je l’ai fait alors que je travaillais encore chez Patrick Seguin, parce que j’étais un peu impatient et que j’avais envie d’être en première ligne. Mais je l’ai fait de manière réfléchie, je l’ai monté pendant 10 mois… J’ai appris rapidement en faisant des erreurs : dans les choix d’artistes, des occasions manquées…

Mais j’ai vraiment misé sur la communication, avec ce concept de galerie-appartement au début et je suis content d’avoir réussi à faire connaître mes artistes, que personne ne connaissait vraiment… L’événement a attiré l’attention et j’ai été soutenu par des contacts, des amis, la presse…

Theo Haggai Omo

Theo Haggai « Omo », 2015,
p
encil on print, 160x90c / gal. Nicolas Hugo

LCM : Il y a eu un déclic qui t’a fait connaître ?

N. H. : Une pleine page dans « Glamour » quinze jours avant le premier vernissage ! Et puis après, le bouche à oreille. J’étais chez moi, je m’attendais à recevoir des amis… mais quelle surprise en ouvrant la porte : les 10 premières personnes qui étaient venues étaient des inconnus. Et là je me suis vraiment dit « je suis dedans » ! Ensuite, il y eu un effet boule de neige avec les média, Télérama, France Inter…

Ren Hang illustration

Ren Hang / gal. Nicolas Hugo

LCM : Dirais-tu que ton jeune âge a joué comme un atout ou un inconvénient ?

N. H. : Les deux. Ça m’a servi grâce à ce côté « génération-démerde », qui dort dans sa galerie sur son matelas gonflable, qui se met au niveau de ses artistes… Parfois, les gens trouvaient ça courageux et avaient envie de le soutenir. Mais ça m’a aussi desservi forcément, du point de vue de la crédibilité. J’avais heureusement la caution des galeries avec qui j’avais travaillé, et c’est cet aval qui m’a permis de nouer des relations de confiance. Mais les six premiers mois ont été un petit peu durs !

LCM : Les artistes que tu défends s’expriment à travers des média variés (peinture, sculpture, photographie, etc.), la plupart sont figuratifs, mais certains font de la peinture abstraite… Est-ce que tu as choisi une ligne éditoriale ou tu écoutes avant tout ton cœur ?

N. H. : Si j’ai une ligne éditoriale c’est de ne travailler qu’avec des artistes de ma génération. Parce que je veux parler de mon époque, de choses qui me ressemblent. Travailler avec des artistes qui ont 60 ans, ça ne me correspond pas. Je soutiens ce que j’aime, ce que j’aurais envie d’acheter pour moi. Je vends surtout ce que je sais vendre.
LCM : La sexualité est assez récurrente chez la plupart de tes artistes…

N. H. : Je l’ai fait sans le vouloir ! Mais oui, mais ce sont mes coups de cœur : je dois aimer le cul ! (rires) Plus sérieusement, c’est aussi mes artistes qui se sont lancés là-dedans. Théo Haggai travaillait sur d’autres choses quand je l’ai rencontré… Ren Hang bien sûr ! C’est incontestable. Mais les gens aiment ça au final, alors…

LCM : Le marché de l’art contemporain a-t-il deux vitesses ? Avec, d’une part des galeries incontestables qui sont écoutées par les institutions et, d’autre part, les plus petites qui ont encore tout à prouver ?

N. H. : Je ne dirais pas deux vitesses. Ce sont deux marchés différents. Les seules différences, ce sont des questions d’argent, et d’ancienneté. Mais j’aspire à être comme eux ! Les petites galeries aspirent forcément à devenir grandes. Il y a comme un droit d’aînesse. Elles se sont battues comme nous pendant des années, elles méritent d’être écoutées. Les artistes stars qu’ils représentent ont commencé à travailler avec eux dès le début. Ils ont « fait leur cote » en les plaçant aux enchères de temps en temps, etc. Mais bon, ils sont comme nous, ils n’étaient pas connus quand ils ont commencé.

LCM : Quels sont selon toi les avantages et les inconvénients du marché français ?

N. H. : Son principal inconvénient, c’est que c’est un marché qui est trop refermé sur lui-même. Il n’arrive pas à s’extérioriser et les artistes français sont mal représentés à l’étranger. Veilhan, Soulages, Cyprien Gaillard… La plupart de ceux qui sont connus sont représentés par des galeries à l’étranger. Parfois, ils se sont carrément expatriés.

Ren Hang illustration 2

Ren Hang / gal. Nicolas Hugo

Il y a beaucoup de collectionneurs en France qui ne s’intéressent qu’aux artistes français. On accorde beaucoup d’importance aux concepts, avec des œuvres très intellectuelles. C’est très différent du marché américain.
À l’expo que j’ai fait à New York en mai, un type est rentré dans la galerie et a dit « I want this, this, and this » et ensuite il m’a posé des questions sur l’artiste ! C’est à croire qu’ils ont peur qu’il y ait quelqu’un qui débarque et qui l’achète avant eux ! C’est beaucoup plus instinctif qu’en France où les gens me disent en général qu’ils vont repasser, réfléchir, etc.
Mais ça, pour moi c’est aussi le principal avantage du marché français : les gens s’intéressent vraiment à l’artiste et on en parle, on prend le temps pour ça. Le compromis, c’est les Belges ! Ils sont encore plus curieux, l’ambiance est très bon enfant. Et ils achètent plutôt comme les américains…

LCM : Et les artistes français ? Sont-ils à l’aise avec le marché ? ou complexés par la question de la commercialisation de leur travail ?

N. H. : Un petit peu complexés, oui. Ils ont toujours en tête qu’ils vaut mieux vendre à des institutions qu’à des collectionneurs privés. Moi, je trouve ça tout aussi valorisant.
Mais tous mes artistes sont jeunes, ils ont moins ce complexe et ils savent qu’il faut gagner sa vie : c’est la génération « y », on a vécu la crise, il y a une certaine anxiété…

LCM : Est-ce que tes collectionneurs te parlent en termes « d’investissement », ou de « spéculation » ? Et qu’est-ce que tu leur réponds ?

N. H. : Ils m’en parlent oui. Les gens achètent parce qu’ils aiment, mais après ils me demandent en général « tu penses que ça vaudra combien ? ». Et moi je les prends à témoin : « Ça te plaît ? Du coup, ça plaira à d’autres personnes et ça montera ». Mais avec mes artistes je ne garantie formellement aucun résultat. Je fais aussi du conseil, sur les cotes d’autres artistes, mais c’est une activité complètement différente. Au niveau de ma galerie, je dis à mes collectionneurs qu’ils ont un rôle à jouer dans la défense des artistes. Ils doivent diffuser, en parler…

LCM : Et internet, ses plateformes de ventes et ses réseaux sociaux ? Est-ce que tout ça est devenu indispensable selon toi ?

N. H. : Indispensable ! Je vends beaucoup d’œuvres avec Instagram. J’ai lu une étude qui disait que la moitié des collectionneurs qui utilisaient Instagram achetaient des œuvres par ce biais. Moi même j’en achète !
Artsper (plateforme de ventes réservée aux galeries d’art ndlr) fait un travail de dingue en terme de promo. Je vends beaucoup d’œuvres avec leur site à un public très large. On voit des amateurs qui sont en Savoie, en Auvergne… Ils y ont droit aussi et je trouve ça formidable !
On voit beaucoup d’images et ça permet de trier. Il y a des expositions virtuelles tellement bien présentées sur internet, qu’on a finalement l’impression de les avoir vu sans y être allé. On peut se promener dans les foires en 3D. C’est génial.

Nicolas Hugo
LCM : Quelles sont d’après toi les attentes du « collectionneur moderne »?

N. H. : Celui que j’attire a moins de 40 ans et il achète de plus en plus jeune. Il utilise internet parce que ça l’embarrasse d’être toisé en rentrant dans une galerie, de devoir demander les prix… Il peut acheter des œuvres d’art en pyjama dans son lit. Il y a de la pudeur et un peu de timidité… Ça le rassure de payer pour avoir de la crédibilité et, après, entrer dans la galerie.

Propos recueillis le 19/09/2015

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