Les mystères de l’estampe
Techniques de la gravure
Nous sommes allés filmer les gestes immémoriaux de la gravure à l’Atelier des Beaux-Arts Sévigné. Notre article didactique, mêlant textes, images et vidéos, décortique les techniques de l’estampe et révèle leurs particularités. Le burin, la manière noire, l’eau-forte, l’aquatinte, la gravure au sucre et la linogravure n’auront plus de secret pour vous !
Nous tenons à remercier Pierre Lancelin et l’Atelier Sévigné de leur précieuse collaboration.
COMMENÇONS PAR LA FIN : L’IMPRESSION
Pour bien comprendre la grande variété des logiques qui distinguent les différentes techniques de la gravure, il nous a semblé pertinent de commencer par leur aboutissement : le tirage de l’estampe sous une presse.
Une idée répandue consiste en effet à penser que l’impression d’une gravure obéit à la même logique qu’un tampon. C’est le cas de la gravure en relief (voir plus bas) mais il en va autrement dans les techniques de taille-douce que nous allons étudier d’abord.
Le graveur entaille sa matrice et l’encre va se loger au fond des cavités. Les parties « en creux » qui contiennent l’encre marqueront donc l’estampe en noir. Les parties intactes resteront en blanc.
De même qu’en photographie, le tirage est un métier en soi. De nombreux graveurs n’impriment que leurs bons à tirer. Lorsqu’ils sont satisfaits du résultat, ils s’adressent alors à un professionnel du tirage qui leur imprime plusieurs épreuves identiques.
LA GRAVURE EN CREUX : LES OUTILS DE TAILLE DIRECTE
La taille directe consiste à graver la matrice directement à la main, sans recours à un produit chimique ou à un vernis. Les possibilités sont infinies ! Les matrices peuvent être en cuivre, en zinc, en plastique, etc. Et tous les outils sont éligibles, du moment qu’ils peuvent entailler, griffer ou cribler la plaque.
Le choix d’un outil n’est cependant pas anodin car les effets sont très variés et la plupart des graveurs sont assez exclusifs. Le burin a toujours été considéré comme la technique la plus noble. C’est également la plus exigeante : le tracé est obligatoirement linéaire et le buriniste est obligé de moduler ses hachures pour restituer les différentes nuances de gris.
Dans toutes ces différentes « techniques sèches », la principale difficulté réside dans les transitions. Les corrections sont possibles, mais elles supposent de bien connaître le médium car le métal ne se laisse pas toujours reprendre lorsqu’il a été entamé.
La pointe sèche se caractérise par la finesse de son tracé et par le velouté du trait, lié au fait que l’outil laisse une « barbe » de métal qui accroche l’encre.
Paul-César Helleu, Le visage encadré, vers 1900
© Les Amis de P.C. Helleu / photo G. Poncet
Le burin creuse plus profondément la plaque que la pointe sèche et sa forme permet de moduler l’épaisseur de l’entaille pour obtenir des nuances. Il ne laisse pas de barbe, son tracé est plus net.
Claude Mellan, La Sainte Face, 1649
La manière noire inverse les valeurs : le fond est entièrement hachuré à l’aide d’un berceau et les blancs sont obtenus avec un brunissoir, qui repolit la plaque.
Frye Thomas, Tête d’homme coiffé d’un turban
Courtesy The Metropolitan Museum
LA GRAVURE EN CREUX : LES TECHNIQUES CHIMIQUES
Les graveurs ont eu recours à l’acide pour retrouver la liberté du geste qu’ils pouvaient avoir lorsqu’ils dessinaient ou qu’ils peignaient. L’eau-forte, comme l’aquatinte et la gravure au sucre permettent plus de spontanéité et de légèreté.Les substances traditionnellement utilisées pour la taille indirecte se sont avérées toxiques. Le « mordant » qui a donné son nom à l’eau-forte était originellement de l’acide nitrique : il est désormais remplacé par d’autres solutions moins nocives, comme le perchlorure de fer.
Une quatrième technique de taille indirecte que nous n’avons pas pu illustrer en vidéo est le « vernis mou » : comme son nom l’indique, il consiste à recouvrir la plaque par un vernis fluide. Le graveur appose ensuite une fine feuille et dessine avec un crayon dur qui va arracher le vernis à travers le papier. Ce procédé permet d’imiter les effets du dessin.
L’eau-forte est facilement reconnaissable par la profondeur de ses noirs, qui rappelle le dessin à la plume et par l’aspect parfois « baveux » du trait, moins net que dans les gravures en taille directe.
Rembrandt, Jupiter et Antiope, 1659
© Fondation Custodia (collection Frits Lugt)
L’aquatinte permet des aplats de différentes valeurs, avec de subtils effets de grain (elle est souvent utilisée en complément de l’eau-forte). Le graveur travaille « en négatif » : il protège les parties qui ne recevront pas d’encre.
Goya, Los Proverbios : Diparate conocido, 1815-1823 © Bibliothèque nationale de France
La gravure au sucre peut être également pratiquée au pinceau (ou au calame avec une préparation plus liquide), mais cette fois « en positif ». Avec une plaque graissée, le sucre forme des gouttelettes caractéristiques.
Pablo Picasso, Le Picador, 1952 / Collection particulière (vente Christie’s 29/06/05)
LA GRAVURE EN RELIEF : XYLOGRAPHIE ET LINOGRAVURE
Les techniques de gravure en relief – autrement appelée « en taille d’épargne » – que sont la linogravure ou la gravure sur bois obéissent à la même logique qu’un tampon : l’encre vient se déposer sur les parties saillantes de la matrice.
Le linograveur retire de la matière, et les parties creusées apparaissent en blanc – en « réserve » – sur le tirage final. Les parties les plus en relief sont chargées d’encre à l’aide d’un rouleau.
L’impression en creux
L’impression en relief
© Source : blog Fleurdelart
La gravure en taille d’épargne se caractérise par ses larges aplats, faiblement (voire pas du tout) nuancés. Les traits sont nécessairement épais car le graveur travaille « en négatif ». De nombreux artistes ont été conquis par sa franchise et le charme de sa simplicité.
Felix Vallotton, La Nuit, 1895 (gravure sur bois)
À LIRE SUR LE COLLECTIONNEUR MODERNE :
- Techniques photographiques : argentique vs numérique
- Interview de Didier Brousse de la galerie Camera Obscura
- Reproductions et copies : l’art à l’épreuve de la standardisation
Très intéressant dossier sur les techniques de gravure : on attend la suite avec impatience !
Merci Camille ! Voici la suite !
Nous irons prochainement visiter des ateliers de lithographie et de sérigraphie : deux techniques appartenant à la catégorie des estampes, mais pourtant très différentes de celles présentées ici.