Exposition Carambolages
Le Petit Poucet au Grand Palais

Du 02/03 au 04/07/16
L’exposition Carambolages rassemble au Grand Palais 185 œuvres d’époques, de styles et de pays différents. Elle se présente comme un jeu de piste ludique où le visiteur part à la recherche des points communs, formels ou mentaux, qui relient les œuvres entre elles : un parcours qui sollicite la réflexion pour encourager l’observation.

Carambolages, exposition du Grand Palais

Par Marie Durocher

Informations pratiques
Le Grand Palais
3 Avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris
Horaires : tlj de 10h à 20h, sauf le mardi
Nocturnes : le mercredi jusqu’à 22h
Tarifs : 13 € (tarif réduit : 9 €)
Page officielle de l’exposition sur grandpalais.fr

Anonyme flamand, Diptyque satirique, c. 1520-1530, H/P, 58,8 x 44,2 x 6 cm © Collections artistiques de l’Université de Liège (galerie Wittert)

« LISTEN TO YOUR EYES »

Le concept de l’exposition est énoncé dès l’entrée par l’installation en néon de Maurizio Nannucci qui illumine la phrase « Listen to your eyes ». Faites uniquement confiance à votre vision, tel est le parti pris de cette exposition qui prône un discours général et transculturel sur l’art.

Le titre lui-même évoque un exercice de style. Le commissaire d’exposition Jean-Hubert Martin ne pose aucune problématique thématique. Le dépliant introductif ne présente pas les habituelles notices explicatives ni de plan élaboré, mais simplement une introduction courte et percutante. Cette absence d’éléments didactiques encourage un rapport direct du visiteur avec les œuvres.

La scénographie d’Hugues Fontenas est rythmée par vingt-cinq meubles parallèles, qui n’accueillent les œuvres que sur un côté et scandent l’exposition sur toute la longueur des galeries du Grand Palais dans une atmosphère en clair-obscur.

Carambolages, scéno Hugues Fontenas © Rmn-Grand Palais / Photo Didier Plowy, Paris 2016

Vue de l’exposition Carambolages Scénographie Hugues Fontenas Architecte
© Rmn-Grand Palais / Photo Didier Plowy, Paris 2016

Le rapport direct et intuitif avec les œuvres est encouragé par divers dispositifs technologiques qui rompent avec les usages des expositions : l’application mobile qui accompagne l’événement ne donne pas plus d’information historique, mais propose un parcours sonore composé par Jean-Jacques Birgé. Ces atmosphères, différentes pour chaque travée, sont autant d’indices pour ce jeu de piste sensoriel, à la recherche du fil rouge qui relie les œuvres entre elles. Des cartels numériques sont installés sur les murs perpendiculaires aux cimaises, à distance raisonnable des œuvres.

La transition entre la galerie basse et la galerie haute propose une « pause récréative » : sur un panneau magnétique présentant les œuvres, le visiteur est invité à composer à son tour des séries d’œuvres, selon ses propres critères d’association.

Extrait site carambolez

Capture d’écran du site carambolez.grandpalais.fr

Le jeu « Carambolez » propose également sur tablettes tactiles (et sur internet à la page carambolez.grandpalais.fr) de deviner la pièce qui complète une série de trois œuvres. C’est un prolongement ludique de l’exposition, qui apparaît comme le seul moyen d’accéder aux “bonnes réponses“ des séries présentes dans l’exposition, qui ne sont pas indiquées par ailleurs dans le parcours.

UN JEU DE DOMINOS

Les expositions « anhistoriques », c’est-à-dire sans indice chronologique ou classification par discipline ou par école, sont à la mode (voir nos articles sur l’exposition du Louvre Une brève histoire de l’avenir ou celle du Quai Branly « Persona »).

Ce métissage artistique, caractéristique des cabinets de curiosités ou de la plupart des collections privées, prend désormais place au sein des musées et les expositions temporaires s’affranchissent de plus en plus de la présentation historique qui prévaut dans les collections permanentes.

Jean-Hubert Martin, qui fut le commissaire d’expositions qui ont marqué l’histoire de l’art (Magiciens de la terre au Centre Pompidou en 1989 pour ne citer qu’elle), met en pratique ses réflexions sur la question de la transculturalité des œuvres et assume cet espace de liberté que lui offre le Grand Palais. Il expérimente une nouvelle manière de solliciter le regard.

Nicola Van Houbraken, Autoportrait, Offices
Lucio Fontana, Concetto spaziale Attese, Centre Pompidou
Kikuyu, Kenya, Monbrison

1. Nicola Van Houbraken, Autoportrait, vers 1720, huile sur toile ; 136 x 99 cm Florence, galerie des Offices © Gabinetto Fotografico della Ex Soprintendenza e del Polo Museale della città di Firenze
2. Lucio Fontana, Concetto spaziale Attese (T.104). Concept spatial, attentes, 1958, peinture vinylique sur toile, incisions ; 125 x 100 cm, Paris, Centre Pompidou, MNAM (don de Mme Teresita Fontana en 1979), photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Jacques Faujour © Fondation Lucio Fontana, Milano/ by SIAE/ © Adagp, Paris 2016
3. “Bouclier Kikuyu“, Kenya, fin du XIXe-début XXe siècle, Paris, Collection Monbrison

Le commissaire d’exposition rend hommage aux recherches d’Aby Warburg (1866-1929), un historien de l’art qui fut le premier à envisager une histoire comparative de l’art basée uniquement sur l’image. Son Atlas Mnemosyne est une compilation visuelle de reproductions d’œuvres : elle sert de pièce tutélaire à l’exposition Carambolages.

Jean-Hubert Martin : « On ne part pas d’une idée préétablie. Il n’y a pas une espèce de thèse d’histoire de l’art ou une rubrique spatio-temporelle et donc il fallait trouver un autre procédé. J’ai utilisé celle d’une séquence où chaque œuvre est prédite par la précédente et annonce la suivante. C’est donc un système analogique, un système d’association entre les œuvres, comme un jeu de dominos. »

En conclusion, l’exposition Carambolages propose de renouveler le regard du visiteur en lui donnant un minimum d’informations sur les œuvres et les choix curatoriaux. Le mystère nourrit notre intérêt et nous pousse à l’analyse. Cet accrochage nous livre à nous même et peut nous persuader de la valeur de notre regard et de notre interprétation personnelle.

Nous pouvons y voir une ambition de démocratisation de l’art puisque aucun bagage historique n’est a priori nécessaire à la compréhension. Si la démarche est louable et efficace, les indices proposés par le parcours sonore peuvent parfois étouffer quelque peu l’imagination et certains rapprochements s’avèrent délicats. Le choix des œuvres n’en demeure pas moins original et pertinent et les outils numériques qui accompagnent ce projet sont très bien mis à profit.

C’est une expérience innovante, une visite plus intuitive et naturelle que nous propose le Grand Palais. Tombez sous le charme ludique de cette exposition singulière : allez « écouter vos yeux » !

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