Exposition Persona au Quai Branly
Quand les objets prennent vie

Du 26/01/2016 au 13/11/2016
Pas besoin d’être animiste pour prêter des sentiments à des objets. Sans vous l’avouer, vous le faites sûrement déjà ! Persona vous révélera ce qui peut vous amener à donner une personnalité à des objets inertes. À travers les civilisations et avec un intérêt particulier pour la robotique, cette exposition transdisciplinaire illustre tous les aspects de l’anthropomorphisme.

Wang Zi Won, Mechanical Avalokitesvara, 2015 / Courtesy de l’artiste
Informations pratiques :

Musée du Quai Branly
37 quai Branly, 75007 Paris
Page officielle sur quaibranly.fr

Mardi, mercredi et dimanche : 11 h – 19 h
Jeudi, vendredi, samedi : 11 h – 21 h
Tarif : 9 € (tarif réduit : 7 €)

Wang Zi Won, Mechanical Avalokiteśvara, 2015
Courtesy de l’artiste

PEUPLER LE VIDE, COMBLER L’INCONNU

L’exposition Persona se décompose schématiquement en deux parties : une première faisant la démonstration de notre tendance à appréhender l’univers à travers la seule perspective humaine (anthropocentrisme) et une seconde, sur notre habitude de donner des traits humains aux choses qui ne le sont pas (anthropomorphisme).

Dans son introduction vidéo, Denis Lavant révèle toute l’ambition des sujets abordés par l’exposition.

L’homme a besoin de donner un visage à l’invisible : il attribue des personnalités aux étoiles, des noms aux rochers et des vertus magiques aux plantes. Il interprète les signes que lui envoient la Nature, perpétue la présence des êtres disparus et donne chair aux divinités. Le plus souvent à son image. Et même les machines y passent : n’avez-vous jamais parlé à votre voiture ou votre ordinateur ?

Un film de Mathias Thery, avec Denis Lavant
Production Les Films d’Ici, L. Duret, A. Guérin
© musée du quai Branly, 2016 (Double-clic pour agrandir)

L’intérêt de cette première partie réside dans le dialogue constructif qu’elle établit entre les sciences et les croyances. Les visions tentatrices et délirantes de l’ermite Saint Antoine sont mises en regard avec une étude filmée par la BBC sur les conséquences psychologiques d’une isolation sensorielle prolongée. Et les idoles chamaniques voisinent avec une expérience scientifique de 1944 (Fritz Heider et Marianne Simmel, An experimental study of apparent behavior) qui nous encourage à attribuer des sentiments à des formes géométriques.

Wolfe von Lenkiewicz, Garden of earthly delights, 2012 / Collection Olbricht

Wolfe von Lenkiewicz, Garden of earthly delights, 2012
Triptyque, huile sur toile / Collection Olbricht
Ce spécialiste en relecture d’art ancien réinterprète ici le Jardin des délices de Jérôme Bosch

Le propos s’étend ensuite à l’histoire de la divination et du spiritisme, mais ce discours global et pluridisciplinaire (comparable à celui qui prévalait au Louvre dans l’exposition Une Brève histoire de l’avenir -> voir notre article) néglige malheureusement le rôle rituel de l’image en occident. Un reliquaire, par exemple, ou une icône (sacrée ou profane) auraient judicieusement complété cette analyse dans sa dimension artistique. Mais dans la deuxième partie, le propos se focalise plus spécifiquement sur la passionnante question des créatures artificielles.

DES OBJETS « ÉTRANGEMENT HUMAINS »

Notre besoin de donner des formes familières aux phénomènes immatériels se confond avec la question de l’anthropomorphisme. Mais si les matériaux organiques ont servis, de tous temps, à créer des objets édifiants, les têtes compressées et autres créatures hybrides ne peuvent susciter d’empathie. Ils inspirent la crainte ou la vénération, mais personne de sensé ne s’y reconnaîtra !

Vitrine curiosités

1. Feekee Mermaid dans son bocal (Michel de Spiegeleire, Surnatéum de Bruxelles),
un exemple de ningyo, créatures composites faisant l’objet de cultes populaires au Japon
2. Buste pédagogique en cire et cheveux naturels illustrant la tuberculose pulmonaire
(Faculté de Médecine de l’Université de Montpellier, collection Spitzner-Roussel-Uclaf-Rohr)
3. Tête d’indien Mundurucu momifiée (Collections du Musée de l’homme)

C’est ce que souligne la théorie de la « Vallée de l’Étrange » développée par Masahiro Mori, éminent théoricien japonais de la robotique, qui sert ici de fil conducteur à l’étude des humanoïdes. Mori a longuement étudié les réactions des humains face aux androïdes et en a déduit la règle suivante : « plus une créature artificielle revêt forme humaine, plus elle a de chances de créer de l’empathie. Mais au-delà d’un certain degré de ressemblance, il crée l’effet inverse : malaise et rejet. »

En pratique, le visage apaisé mais irréaliste d’un Bouddha est plus à même de susciter l’empathie qu’une tête en cire du Musée Grévin, qui pastiche la réalité sans l’égaler.

Le pouvoir de séduction des mouvements souples et du visage serein du Mechanical Avalokitesvara de l’artiste Coréen Wang Zi Won en est une belle démonstration.

Wang Zi Won, variante de son Mechanical Avalokitesvara qui illustre l’affiche de l’exposition / Courtesy de l’artiste

L’ÈRE DES ROBOTS

Préfigurés par les mythiques automates de Jacques Vaucanson au XVIIIe siècle ou par les machines de Jean Tinguely au XXe – pour ne citer qu’elles – les robots occupent une place de choix dans la création contemporaine.

La magnifique galerie d’humanoïdes sélectionnés pour Persona répond parfaitement aux préceptes de Masahiro Mori.

Ils se distinguent par une évocation mesurée de leur part d’humanité. Mouvements du regard, expressivité du geste, pertinence des réactions… tout est dans la science du détail.

Brillante par son minimalisme, l’installation Cone Pyramid : Heart beats dust de Jean Dupuy (artiste français né en 1925) restitue la présence humaine à travers des pulsations cardiaques. Un amplificateur branché sur un stéthoscope fait bondir dans l’air un amas de pigments rouge-sang. Une œuvre abstraite et pourtant tellement organique.

Les progrès permanents de l’informatique et de la robotique nous rapprochent irrémédiablement de la naissance d’une Intelligence Artificielle. Ses balbutiements sont évoqués dans l’exposition par le programme ELIZA, conçu au début des années 60, ou par le snob Berenson, le premier « robot amateur d’art » conçu en 2011 par Denis Vidal et Philippe Gaussier, qui se promène parmi les visiteurs et adapte ses réactions aux œuvres et au public.

Mais quelle sera la place de l’intelligence dans la Vallée de l’Étrange ? L’humain est jaloux de son intellect : les androïdes rendus trop savants ne susciteront-ils pas la peur et la défiance ?

Ce sujet plein de promesses est abordé avec une incontestable originalité. Signe de la réussite de cette réflexion prospective : on ressort du Quai Branly avec d’avantage de questionnements qu’en y entrant.

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