Une brève histoire de l’avenir

Jusqu’au 04/01/16
Annoncée par le Musée du Louvre comme l’évènement majeur de l’année 2015, l’exposition Une Brève histoire de l’avenir se lance de grands défis : adapter un essai de Jacques Attali, aborder un thème de prospective politique et faire dialoguer des œuvres d’art de toutes les époques, sans préoccupation chronologique.

D’accès difficile, le discours réserve néanmoins quelques belles surprises…

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Informations pratiques :
Horaires : tlj de 9h à 17h30, sauf le mardi
Nocturnes : mercredi et vendredi jusqu’à 21h30
Tarifs du musée : 15 €
Site officiel : www.louvre.fr
Commissaires de l’exposition : Dominique de Font-Réaulx (Louvre) et Jean de Loisy (Palais de Tokyo)…

Notre dossier :
-> Une inspiration plutôt qu’une adaptation
-> Des premiers échanges à la crise financière
-> La valse des empires
-> La liberté en question

UNE INSPIRATION PLUTOT QU’UNE ADAPTATION

L’ouvrage de politique-fiction, paru en 2006, propose une lecture alarmiste de l’avenir, découpée en cinq étapes successives (ou alternatives) :

– le déclin de l’Empire américain, entamé avec la crise des subprimes ;
– l’émergence d’un univers polycentrique, dominé par neuf super-puissances ;
– la formation d’un « hyperempire », régi par la seule loi du marché ;
– l’éclatement d’un « hyperconflit » engendré par l’aggravation des inégalités, la pénurie des énergies, de l’eau et de l’alimentation ;
– l’avènement d’une « hyperdémocratie » de « transhumains »

Mise à part sa dernière salle, l’exposition n’illustre toutefois que le premier tiers du livre dans lequel l’auteur s’attache à déterminer les « invariants » qui caractérisent notre passé et qui lui permettent de « prévoir l’organisation des décennies à venir ».

Ce discours n’offre donc qu’une illustration partielle de la vision d’Attali, mais il ouvre la porte à un dialogue parfois fécond entre des œuvres anciennes (dont quelques prêts remarquables), d’autres modernes et quinze créations contemporaines. Cette ouverture au monde contemporain est un fait suffisamment rare au Louvre pour qu’il retienne notre attention.

DES PREMIERS ECHANGES A LA CRISE FINANCIERE

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Scribe assis en tailleur,
Égypte, 2500-2350 av. J.-C

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Simon Vouet, La Richesse,
vers 1640

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Mark Lombardi, Banca Nazionale de Lavoro, 1998

Sous le titre « Les instruments de l’échange », cette section montre l’importance des échanges commerciaux dans l’affirmation politique et culturelle des empires. Quelques tablettes mésopotamiennes (cunéiformes) nous rappellent que les premières écritures étaient comptables, tandis que la figure du scribe évoque le rôle de l’administration commerciale dans l’édification de l’empire égyptien.

Une série de vitrines nous permet d’apprécier la variété des formes qu’ont pu adopter les instruments monétaires à travers le temps et l’espace (tetradrachme du Vème siècle, monnaie chambra du Nigeria, tamba des Tolai, quipu du Pérou, etc.), jusqu’à l’allégorie baroque peinte par Vouet au milieu du XVIIème.

La cartographie financière proposée par Mark Lombardi matérialise la complexité inouïe et l’imbrication des circuits financiers. Cet artiste américain (1951-2000) s’est attaché à figurer de grands scandales financiers et les trafics d’armes à travers des diagrammes : avec le temps en abscisse, les montants des flux accompagnent les flèches et les affaires apparaissent ponctuellement en rouge, symbolisant la face visible de cet imbroglio (l’illustration proposée est une variante de l’œuvre exposée).

LA VALSE DES EMPIRES

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Masque de cavalerie, Rome, vers 300

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Thomas Cole, Le Destin des Empires, 1834

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Wael Shawsky, La Conquista, 2015

La section suivante s’intitule « Le Cycle de l’Histoire : Empire et fracas des armes ». Elle s’ouvre sur une série d’armes et d’armures qui évoque le raffinement et la splendeur que peuvent atteindre les outils de destruction (avec notamment ce superbe masque romain prêté par le musée de Nimègue).

Exposé pour la première fois en Europe, le cycle du Destin des Empires peint par l’américain Thomas Cole en 1834 illustre à merveille cette lecture cyclique de l’Histoire. Cette suite de cinq toiles peut en effet être abordée dans un sens ou dans l’autre, créant un lien dans une unité de lieu entre la mythologie américaine à la chute d’un Empire romain fantasmé. L’artiste met en scène la disparition d’une civilisation comme la promesse de la renaissance d’une autre.

Répondant à ces correspondances historiques, le vaste paravent sculpté par Wael Shawsky souligne la subjectivité des conquêtes prétendument civilisatrices. L’artiste égyptien s’est fait connaître par son adaptation de l’ouvrage d’Amin Maalouf Les Croisades vues par les Arabes, il s’attaque cette fois à la brutalité de la Conquista et la chute de la royauté aztèque.

LA LIBERTE EN QUESTION

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Maquette de l’assemblage de la Statue de la Liberté

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Marc Riboud, « La fille à la fleur », 1967

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Rirkrit Tiravanija, Demonstration drawings, 2015

Tandis que la scénographie se dissipe ensuite sous une multitude d’intitulés dont on perd parfois la structure d’ensemble, nous retiendrons le thème de la « Lutte pour la liberté » qui propose une réflexion sur l’émancipation démocratique.

La lecture critique du « rêve américain » selon Attali nous amène à prendre nos distances sur le symbole érodé de la Statue de la Liberté de Bartholdi : elle est évoquée ici sous la forme d’une maquette de la collection des Arts et Métiers qui représente l’assemblage du colosse. On pénètre dans la manufacture du mythe, aussitôt contredit par le fameux cliché de Marc Riboud, symbole de la contestation de l’intervention américaine au Vietnam.

Avec ses Demonstration drawings, le thaïlandais Rirkrit Tiravanija interroge le rôle et les formes d’implication individuelles dans les causes militantes. Il a invité les membres de son atelier à s’approprier des sujets de lutte en copiant au crayon de célèbres photos de manifestations populaires, qui sont exposées sous un verre orange pour les uniformiser.

CONCLUSION

Vous l’aurez compris, l’exposition Une brève histoire de l’avenir nous a partagé. Nous nous sommes réjouis de voir s’ouvrir au Louvre un dialogue thématique entre les époques, mais nous regrettons cette adaptation distanciée d’un ouvrage si singulier. En dehors de la dernière salle qui aborde sans parti pris la question de la divination, la portée prophétique est heureusement escamotée !

L’installation du célèbre artiste chinois Ai Weiwei est à notre sens le meilleur résumé du propos de Jacques Attali dans sa dimension positive : Fondation propose au public d’établir un forum en s’asseyant sur les bases d’anciennes colonnes (chinoises mais qui évoquent l’idéal démocratique de la Grèce antique) et de considérer les ruines de l’harmonie perdue comme les fondations d’un futur optimiste. Cette œuvre est enrichie par la projection en temps réel de « posts » de l’artiste sur les réseaux sociaux, donnant à voir l’Internet comme une nouvelle agora.

Pour aller plus loin :
-> Mark Lombardi, Artiste conspirateur : un documentaire de Mareike Wegener
-> Le site web de la Serpentine Gallery qui représente le travail de Wael Shawsky
-> Le site web de la Galerie Chantal Crousel qui représente Rirkrit Tiravanija en France
-> Le fameux compte Instagram de Ai Weiwei

Crédits photographiques :
– Thomas Cole, Le Destin des empires © The New-York, Historical Society

– Scribe assis en tailleur © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais / Georges Poncet
– Simon Vouet, La Richesse © Musée du Louvre, RMN/ Arnaudet
– Mark Lombardi © photo Alt-F4
– Masque romain © Musée Valkhof, Nijmegen / photo National Geographic
– Wael Shawky © l’artiste / photo greghilty
– Maquette de la Statue de la Liberté © Musée des Arts et Métiers / photo Hubert Demory

– Rirkrit Tiravanija, Demonstration © l’artiste / galerie Chantal Crousel